mardi 16 novembre 2010

Pauline à Berlin

Voici le temps de la première visite, je l'attendais.

C'est Pauline que je suis allée cueillir à l'aéroport, Pauline l'amie de confiance, la loyale qui -malgré les chemins désormais différents- écoute, parle aussi. A travers elle, c'était le souvenir d'une autre vie qui venait à moi, ma vie française, un peu assoupie.C'est cette étrange impression d'avoir deux existences qui, si elles se croisent parfois, ne se rejoindront jamais. Ce n'est pas une parenthèse non plus, l'une de celles que l'on referme, indemnes. Nous reviendront changés, tous conquérants.

J'ai pris le bus pour venir te chercher, il était tôt, la lumière belle. Je pensais au tout premier jour : mon arrivée. Je me rappelle mon excitation et cet espoir débordant au cœur. Je me demandais à quoi tu pensais.

Je voulais tout te dire, l'attrait de cette ville, ma vie ici. Je voulais te dire de ne pas t'arrêter aux monuments parfois ternes, à l'absence d'unité. J'avais peur que tu n'aimes pas. C'est impossible de montrer ce que l'on voit.

La ville n'est pas belle. Ce n'est pas Paris, Berlin n'est pas un trésor, elle se vit. As-tu senti ce rapport au temps un peu différent?

C'est la ville des migrants tu sais, une ville pauvre, moderne, qui fourmille, qui attire. Elle n'est pas Bonn ou Francfort, elle ne brille pas économiquement, a l'un des taux de chômage les plus élevés d'Allemagne.

Elle a été détruire pendant la guerre, et a peu à peu été reconstruite. Tu n'as pas pu voir cette Eglise baroque dont seules les façades extérieures ont été reconstruites. À l'intérieur, rien, elle est vide. C'est stupéfiant et chaque fois, cela me glace. Elles sont loin les splendeurs d'antan. Tu en as vues certaines pourtant celles de la Prusse victorieuse au château de Charlottenburg.


(Château de Charlottenburg)

Ici, il n'y a pas de culture de conservation, le vieux bâtiment historique, si inutile, peut être supprimé, c'est ainsi. On n'hésite pas non plus à construire au XIX° des hôtels à la mode Renaissance...

Alors, oui, vois les monuments : Brandenburger Tor, le Reichstag, East Side Gallery ou Postdamer Platz, mais n'oublie pas qu'ils ne sont pas tout Berlin, que Berlin bouge et bougera.

Berlin, c'est aussi les parcs immenses, les bars rouges le soir, la bière, des instants à danser dans un ancien appartement reconverti, maquillés à l'encre de Chine par un artiste d'un soir. Berlin c'est l'envie de manger un döner au petit jour puis la visite d'un grand musée. Berlin, c'est parler dans le métro avec celui qui a entendu que tu étais française.


( Sony Center auf dem Potsdamer Platz)

C'est pour beaucoup une liberté retrouvée. Aujourd'hui, mon professeur parlait des migrants du XIX° qui quittaient leur campagne pour la grande ville, dure, froide. Il parlait de leur espoir. Il nous a demandé pourquoi, nous, nous étions venus. Pourquoi Berlin?

Pourquoi? Je crois que tu l'as senti. Je ne pouvais pas vraiment te l'expliquer.

Tu es repartie, j'avais cette drôle de mélancolie de ceux qui restent et qui sont loin. Mais merci! Merci d'être venue, d'avoir aimé ce que j'aime, d'avoir compris. Et n'oublie pas : je t'attends!


(annexes du Parlement)



vendredi 5 novembre 2010

Université, Europe, mes amours!

Maintenant novembre, novembre la grise et la mélancolique, novembre qui pénètre tout et nous laisse un peu fatigués. Pas d'hibernation pourtant, on avance, on découvre, encore. C'est étrange de penser à vous sous d'autres hémisphères, sentant encore les fleurs et le soleil, cherchant un peu d'air frais. Et moi qui attendrais presque Noël, la neige, le froid rude et les lumières multicolores! Je n'aime pas les entres deux.

L'euphorie de l'arrivée s'estompe peu à peu, c'est normal. Il me reste malgré tout ce contentement, la certitude d'avoir fait le bon choix.

Partir c'est toujours remettre en cause ce qui paraît évident, acquis. A nouveau réfléchir.

A Berlin, je réapprends l'université et l'enseignement. Les débats passés sur notre université idéale, sur celle à construire, sont à nouveau d'une actualité poignante. J'y repense.

C'est aussi pour sa conception romantique de l'éducation que j'avais choisi l'Allemagne : « se perdre dans le savoir pour mieux se retrouver », ça me plaisait.

Ici, il faut oublier, oublier le temps qui passe, l'avenir professionnel plus ou moins certain, la vision du professeur comme détenteur de savoir. Les étudiants allemands lisent, cherchent, parlent, débattent, critiquent. Ils disent leurs pensées, s'approprient un savoir qui les dépasse et, peu à peu, se l'approprient. Ils sont loin les cours magistraux, les partiels mécaniques.


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(le Rotes Café : le café rouge, café principal de l'institut de sciences politiques)
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Les professeurs sont des guides, des accompagnateurs et non des maitres. Et, rendez vous compte, aucun d'entre eux ne prônent la neutralité axiologique (quelle fumisterie!), ils assument leurs idées, certains les revendiquent, dans le respect de la contestation.

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Il y a ce premier cours de gender theories, les tables ont disparu, nous sommes en cercle. La consigne est simple : parler à son voisin du monde rêvé. Ma voisine est l'une des profs, elle n'a pas trente ans et me parle d'un monde sans frontières, un monde de liberté. Elle et sa collègue réfutent le schéma traditionnel du cours, elles le réinventent sur un mode exclusivement participatif. C'est dur lorsque l'on ne parle pas bien la langue et pourtant c'est tellement enthousiasmant.

(un des principaux bâtiments de l'institut des sciences politiques)

L'aisance à l'oral des étudiants est assez remarquable et semble être le fruit d'un long apprentissage. Cela me semble parfois étrange qu'un peuple si formé à l'esprit critique ne soit pas plus contestataire.

Les maitres mots de l'université allemande pensée par Humbold sont liberté, autonomie et découverte: liberté de choisir ses cours, de penser, autonomie dans la recherche et face au savoir (tous deux nécessairement liés), et découverte de soi et du monde.

Les études s'étendent sur de nombreuses années (la connaissance nécessite du temps, l'étudiant peut le prendre), la barrière entre vie active et formation est fluctuante. Et il est encore admis que l'université transmet des savoirs et non des savoir-faire; qu'elle a pour vocation de former l'esprit, de se grandir. Ainsi, l'étudiant en philosophie peut être embauché dans une entreprise car il sait penser.

Inutile de dire, que cette conception de l'enseignement universitaire est profondément remis en cause par le système de Bologne.

Il est par ailleurs toujours étonnant pour moi de constater le nombre de très jeunes femmes enceintes au sein de l'université. Il existe des aides financières (et je crois également une crèche) permettant aux jeunes mères de concilier maternité et études. J'avoue ma surprise étant donné le très faible taux de natalité allemand et les conceptions de la « bonne mère » encore relativement rigides et traditionnelles. Il m'amène à repenser le féminisme : favoriser contraception et avortement bien sûr mais également permettre aux femmes de mener simultanément les deux fronts.

Partir c'est aussi se confronter à ses origines et à ce qu'elles signifient. Je voulais prendre de la distance avec la France, fatiguée de ses excès, de ma honte. Prendre le temps de penser, loin de mon indignation quotidienne. C'est difficile, presque impossible.

Tout d'abord parce que, peut être est-ce en Erasmus encore plus perceptible qu'ailleurs, notre nationalité fait intimement partie de ce que nous sommes, de notre identité.

Il y a ce rituel, quasi immuable qui veut tout dire: face à moi se trouve cette personne que je ne connais pas; je lui tends la main et dis « Ich bin Fanny und ich komme aus Frankreich » (je suis Fanny, je viens de France). Si j'oublie cette précision, on me questionnera. C'est ainsi. C'est toujours ce que l'on sait en premier.

Ensuite, c'est assez étrange de pouvoir constater de la tentation communautaire, à cause de la langue oui, mais également à cause de références communes ou de ce sentiment d'appartenance.

Il me semble impératif de lutter contre, nombre sont ceux qui se cantonnent dans une position très fermée, parlant presque uniquement français en présence d'étrangers. Il est difficile parfois de ne pas déceler dans ces comportements un brin d'arrogance. Ce qui n'échappe pas à certains de mes amis d'Europe de l'Est, qui m'en parlent, timides et un peu gênés...

Enfin, il y a l'actualité, violente, qui rattrape et ébranle la fragile prise de recul, actualité qui fait douter: où est donc ma place? Ici? Là bas? C'est ce lien irrémédiable, soudain évident : je viens de l'autre côté de la frontière, c'est mon pays.

C'est au bout de quelques jours que je me suis rendue compte, auprès d'étudiants hongrois et polonais, qu'ici autre chose se créait. A Berlin, je deviens citoyenne européenne. C'était théorique, je le vis.

Pour l'instant, c'est une nouvelle découverte, joyeuse, qui me suffit!