vendredi 5 novembre 2010

Université, Europe, mes amours!

Maintenant novembre, novembre la grise et la mélancolique, novembre qui pénètre tout et nous laisse un peu fatigués. Pas d'hibernation pourtant, on avance, on découvre, encore. C'est étrange de penser à vous sous d'autres hémisphères, sentant encore les fleurs et le soleil, cherchant un peu d'air frais. Et moi qui attendrais presque Noël, la neige, le froid rude et les lumières multicolores! Je n'aime pas les entres deux.

L'euphorie de l'arrivée s'estompe peu à peu, c'est normal. Il me reste malgré tout ce contentement, la certitude d'avoir fait le bon choix.

Partir c'est toujours remettre en cause ce qui paraît évident, acquis. A nouveau réfléchir.

A Berlin, je réapprends l'université et l'enseignement. Les débats passés sur notre université idéale, sur celle à construire, sont à nouveau d'une actualité poignante. J'y repense.

C'est aussi pour sa conception romantique de l'éducation que j'avais choisi l'Allemagne : « se perdre dans le savoir pour mieux se retrouver », ça me plaisait.

Ici, il faut oublier, oublier le temps qui passe, l'avenir professionnel plus ou moins certain, la vision du professeur comme détenteur de savoir. Les étudiants allemands lisent, cherchent, parlent, débattent, critiquent. Ils disent leurs pensées, s'approprient un savoir qui les dépasse et, peu à peu, se l'approprient. Ils sont loin les cours magistraux, les partiels mécaniques.


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(le Rotes Café : le café rouge, café principal de l'institut de sciences politiques)
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Les professeurs sont des guides, des accompagnateurs et non des maitres. Et, rendez vous compte, aucun d'entre eux ne prônent la neutralité axiologique (quelle fumisterie!), ils assument leurs idées, certains les revendiquent, dans le respect de la contestation.

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Il y a ce premier cours de gender theories, les tables ont disparu, nous sommes en cercle. La consigne est simple : parler à son voisin du monde rêvé. Ma voisine est l'une des profs, elle n'a pas trente ans et me parle d'un monde sans frontières, un monde de liberté. Elle et sa collègue réfutent le schéma traditionnel du cours, elles le réinventent sur un mode exclusivement participatif. C'est dur lorsque l'on ne parle pas bien la langue et pourtant c'est tellement enthousiasmant.

(un des principaux bâtiments de l'institut des sciences politiques)

L'aisance à l'oral des étudiants est assez remarquable et semble être le fruit d'un long apprentissage. Cela me semble parfois étrange qu'un peuple si formé à l'esprit critique ne soit pas plus contestataire.

Les maitres mots de l'université allemande pensée par Humbold sont liberté, autonomie et découverte: liberté de choisir ses cours, de penser, autonomie dans la recherche et face au savoir (tous deux nécessairement liés), et découverte de soi et du monde.

Les études s'étendent sur de nombreuses années (la connaissance nécessite du temps, l'étudiant peut le prendre), la barrière entre vie active et formation est fluctuante. Et il est encore admis que l'université transmet des savoirs et non des savoir-faire; qu'elle a pour vocation de former l'esprit, de se grandir. Ainsi, l'étudiant en philosophie peut être embauché dans une entreprise car il sait penser.

Inutile de dire, que cette conception de l'enseignement universitaire est profondément remis en cause par le système de Bologne.

Il est par ailleurs toujours étonnant pour moi de constater le nombre de très jeunes femmes enceintes au sein de l'université. Il existe des aides financières (et je crois également une crèche) permettant aux jeunes mères de concilier maternité et études. J'avoue ma surprise étant donné le très faible taux de natalité allemand et les conceptions de la « bonne mère » encore relativement rigides et traditionnelles. Il m'amène à repenser le féminisme : favoriser contraception et avortement bien sûr mais également permettre aux femmes de mener simultanément les deux fronts.

Partir c'est aussi se confronter à ses origines et à ce qu'elles signifient. Je voulais prendre de la distance avec la France, fatiguée de ses excès, de ma honte. Prendre le temps de penser, loin de mon indignation quotidienne. C'est difficile, presque impossible.

Tout d'abord parce que, peut être est-ce en Erasmus encore plus perceptible qu'ailleurs, notre nationalité fait intimement partie de ce que nous sommes, de notre identité.

Il y a ce rituel, quasi immuable qui veut tout dire: face à moi se trouve cette personne que je ne connais pas; je lui tends la main et dis « Ich bin Fanny und ich komme aus Frankreich » (je suis Fanny, je viens de France). Si j'oublie cette précision, on me questionnera. C'est ainsi. C'est toujours ce que l'on sait en premier.

Ensuite, c'est assez étrange de pouvoir constater de la tentation communautaire, à cause de la langue oui, mais également à cause de références communes ou de ce sentiment d'appartenance.

Il me semble impératif de lutter contre, nombre sont ceux qui se cantonnent dans une position très fermée, parlant presque uniquement français en présence d'étrangers. Il est difficile parfois de ne pas déceler dans ces comportements un brin d'arrogance. Ce qui n'échappe pas à certains de mes amis d'Europe de l'Est, qui m'en parlent, timides et un peu gênés...

Enfin, il y a l'actualité, violente, qui rattrape et ébranle la fragile prise de recul, actualité qui fait douter: où est donc ma place? Ici? Là bas? C'est ce lien irrémédiable, soudain évident : je viens de l'autre côté de la frontière, c'est mon pays.

C'est au bout de quelques jours que je me suis rendue compte, auprès d'étudiants hongrois et polonais, qu'ici autre chose se créait. A Berlin, je deviens citoyenne européenne. C'était théorique, je le vis.

Pour l'instant, c'est une nouvelle découverte, joyeuse, qui me suffit!

5 commentaires:

  1. Le système allemand continue de me fasciner. Il faut que tu en profites, que tu nous expliques et que tu nous ramènes de nouvelles manière de s'organiser et de vivre. J'ai un peu de mal à poser cette réflexion qui vient de naître en moi. Avant-hier, j'ai eu une grande discussion avec une femme du Mouvement des Sans Terre qui m'expliquait comment ils s'organisaient avec une méthode bien différente de celle que nous connaissons dans le monde capitaliste (hiérarchie, autorité, pouvoir, partis, législation, associations). Ils sont comme le CCRASS, aucun statut ! ^^ Ils organisent quelque chose en parallèle de la société brésilienne avec leur propre mode de fonctionnement et d'organisation. Et la sauce prend. Ta description de l'université allemande m'a fait penser un peu à ça. Ce sont des choses sur lesquelles ils nous faut réfléchir, et il nous faut les ramener en France pour les partager et créer nous aussi. Tout cela est encore un peu flou dans mon esprit, il faut y réfléchir pour poser des mots plus précis là dessus, et là la musique se fait un peu trop forte pour que j'y réfléchisse ... Mais nous y penserons j'imagine !

    Je t'embrasse, et d'ailleurs, tu m'as inspiré un semblant article sur mon blog, va voir !

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  2. Le système universitaire allemand*

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  3. Et quand je me ramène en juillet, tu m'amène dans ce Rotes Café ? =)

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  4. Promis je t'emmène (et c'est le moment où j'avoue avec honte que je n'y suis pas encore allée...).
    Oui, tu as raison nous avons beaucoup à tirer de modes d'organisation que nous tirons!
    Comme je te le disais cependant, cette conception de l'université vieille de plus de 200 ans est remis en cause par Bologne...DAns quelle mesure je ne sais pas encore. Il semblerait que le lien université/vie pro soit amplifié et que l'on ne puisse pas étaler ses études comme avant...Enfin, c'est à vérifier et à expérimenter!
    je vais de ce pas sur ton blog ma belle!

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  5. ce qui est marrant, c'est que je retrouve certains de ces aspects, ici, dans une université publique américaine. mes cours d'amphi sont à 50, et c'est "trop", "trop" pour créer une discussion, qu'ils disent, parait que 1à ans auparavant c'est gratuit et même que les amphis étaient à 20. généralement, je suis assis dans une vieille salle. tout parait moderne pourtant de l'extérieur, mais le vétuste fait la science, parait-il. j'ai lu une centaine de page avant d'aller à ce cours. soudain, un étudiant lève la main: "cette problématique, ça me fait penser à Foucault". la conversation dévie, prend un nouveau tour. petit à petit, des connexions se font, les matières se décloisonnent, le savoir se libère.

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