lundi 11 juillet 2011

moins un mois

Il y a un an, le temps des ponts, des constellations et de l'attente.

Aujourd'hui, à moins d'un mois d'un autre départ, c'est une autre histoire que je me raconte: une histoire berlinoise. Drôle d'impression celle de n'être qu'une narration alternant silences, logorrhées et mains expressives. Pourquoi ce besoin de (se) raconter (à soi surtout)? Pour tout ancrer au moment où l'on se demande ce qu'il va rester.

(Berlin)

Il y a bientôt un an, je partais. Ici, j'ai découvert une assurance nouvelle, j'ai été heureuse d'un bonheur exigeant, faisant parfois mal. J'ai aimé des gens, unis dans une croissance un peu folle, s'acceptant absurdes et changeants.

Alors au moment de la fin qui n'en finit pas, on a un peu peur. Il est finalement facile de partir, il faut savoir revenir.

(Berlin, Eberswalderstrasse)

Le calme se refait. C'est qu'il y a aussi des mains là-bas qui se lèvent. Peut être qu'on sait aussi que sans ceux-là, l'ici n'aurait pas été possible de la même manière. Je sais aussi qu'avec mes berlinois (pas si berlinois que ça!), c'est autre chose qui commence. J'en ramène certaines avec moi (!), avec les autres on se retrouvera.

Désormais, des boucles se bouclent, j'aime toujours autant les rituels. Dernier dimanche de mon ami Tyler au Mauerpark, là où en octobre nous nous étions rencontrés. Le marché aux puces est le même, les berlinois chantent au karaoké. Aujourd'hui, le cadre et l'ambiance ont moins d'importance que chacun. Moi, j'ai un peu le vertige: tout est finalement passé vite.


(Budapest)

Je n'ai pas pris le temps de raconter mon voyage à Budapest avec mon compagnon de route Elisa. C'était le dernier voyage. On a retrouvé Eszter, une amie hongroise, et Victor iepien de son état. Là encore, une ville magnifique avec des guides très attentionnés! Entre le marché couvert, le parlement, le mémento parc, les rues, le quartier juif, les bains turcs, le goulasch, la bière et les discussions en tous genres, le temps passe vite. Voyager permet aussi une vue d'ensemble. Je connais mieux notre vieux continent et je me rends compte à quel point les questions de replis, de populismes sont des problèmes européens.


(Budapest)


Relisant il y a peu ce que j'avais pu écrire sur certains sujets, j'ai envie d'apporter avec le recul certaines rectifications.

Sur l'université d'abord. Si les débuts ont été enthousiasmants, entre la place centrale laissée à la participation, à la réflexion personnelle et à la critique et les thèmes nouveaux, je peux désormais modérer ce jugement. Si le mode de validation me paraît toujours plus pertinent que le français (à savoir la rédaction d'un mini-mémoire pour un séminaire), l'écoute et la discussion voire la démocratie au sein des cours impressionnants, j'ai pu aussi regretter le retrait énorme de certains professeurs. Souvent, un apport théorique et méthodologique manque et nous laisse insatisfaits.

(Budapest)

Sur le sentiment national ensuite. Mon rapport à lui aura évolué tout au long de l'année. Il y a eu les tous débuts où la nationalité prend une place prépondérante dans notre identité. L'appartenance prend un autre sens. Puis peu à peu, le sentiment s'est éloigné, peut être parce que je me suis rendue compte de son caractère profondément mythologique. Et qu'un jour, on peut cesser de croire ou croire différemment. La France en tant que telle m'a peu manquée.

Il existe en allemand un mot unique, intraduisible en français comme en anglais: die Heimat. Très grossièrement, je croyais pouvoir le traduire par « Patrie », mais non c'est « Vaterland ». L'Heimat, c'est là d'où l'on vient, c'est un sentiment, ça a à voir avec le cœur. Je comprends très bien de quoi il s'agit. J'ai deux « Heimat », il y a Lyon puis Berlin. J'ai aimé être autrement ici, voir se germaniser la française.


(Berlin, Charlottenburg)

Et oui, encore en train de mettre les bœufs avant la charrette. Il n'est pas temps de faire le bilan, vivons encore un peu!

jeudi 2 juin 2011

Et la suite...



Et tout va si vite, est si plein que l'on ne distingue plus le jour de la nuit. Il n'y a qu'un tourbillon de couleurs, des visages, un soleil éblouissant et tout à coup l'orage qui claque. À peine à l'abri, on regarde l'eau, violente, qui emporte tout. C'est si beau que l'on rit.


Au centre

Berlin

Il y a quelques temps: Cracovie.

Dans le train, je sens l'appel de l'Est, il sonne comme un inconnu mystérieux, un lointain parent jamais rencontré. Les paysages défilent, verts à perte de vue.

Comme pour Prague, rien n'est tout à fait neuf: il y a l'Histoire et les histoires qui précédent les découvertes et peut être l'empêchent ou l'orientent.

À Prague, il y avait les mots de Kundera, les fantômes de Tomas et Teresa qui peinent à s'aimer, il y a l'art impossible pour Sabina, le printemps avorté et les étudiants qui s'embrasent.

Finalement, les rues sont calmes et superbes. Elles sont les résultats d'une culture et d'une richesse fantastiques, d'une Histoire que l'on ne connait pas. On est touché par le beau à chaque instant, c'est l'hiver en Bohème: il neige le premier jour. Et après la découverte de Chemnitz, l'ancienne Karl Marx Stadt, c'est un peu étrange.



Cracovie

Cracovie est la petite sœur de Prague, toute aussi belle et royale. D'elle, je ne connaissais rien. Dans le train, je ne pouvais me l'imaginer. Je ne pensais qu'à l'Histoire, encore: aux Nazis et aux Soviétiques. Que la Pologne avait été rayée trois fois de la carte. Je me disais que c'était une terre meurtrie.


Cracovie

À la gare, Rafael -un ami polonais- nous attend avec Elisa. Il nous accueille avec chaleur et nous guide à travers sa ville, nous montre ce qu'il aime. Il y a le château, les églises par dizaines et le quartier juif un peu plus populaire.



Tout me plait, ou presque. C'est surprenant de constater la transition des anciens pays communistes. En témoigne l'immense centre commercial, les enseignes reluisantes et écœurantes, les horaires absurdes. Ici, possibilité de consommer à (presque) toutes heures et tous les jours. C'est assez paradoxal pour un pays si catholique où Jean Paul II est, littéralement, à tous les coins de rue. Il paraît qu'une nouvelle religion s'est imposée...


Cracovie

Le lundi, nous sommes parties toutes les deux pour Auschwitz. J'avais hésité, craignant le voyeurisme et le tourisme de l'horrible. Et puis, j'ai eu besoin d'y aller, comme si c'était un terme. C'est par la Shoah que je suis venue à l'allemand et à Berlin, parce que je voulais comprendre. Je n'ai pas compris.



Cracovie

Dans le petit bus qui nous menait à Auschwitz, j'avais cette drôle de boule dans l'estomac.

Arrêt Auschwitz Museum. Il y a beaucoup de gens, des enfants, des bébés aussi. C'est trop, déplacé.

Notre groupe est respectueux, nous écoutons le guide qui rappelle de que l'on sait déjà. Intellectuellement au moins. Plus que les baraquements, l'organisation froide et parfaite, ce qui me touche le plus ce sont les cheveux, les vêtements, les chaussures. Parce qu'ils rappellent que l'on parle d'hommes. Et même là-bas, c'est inenvisageable.

À la sortie de chaque lieu, lorsque l'on retrouve l'air libre, je m'accroche au soleil. Et c'est absurde, comme ces gens qui ouvrent chaque matin leur fenêtre sur le camp.

Au bout de quelques heures, j'étais soulagée de partir. Mais le froid reste longtemps.


Berlin

A Berlin, c'est le printemps, presque l'été. Et chaque jour, j'aime plus la ville (ma deuxième Heimatstadt « ville d'origine) et ce mode de vie un peu alternatif et ralenti.


Les visites s'enchainent: ces derniers jours Mimi, Béa, Créteil et Thibault. Ça fait du bien de montrer ce que l'on aime: les quartiers différents, les parcs, l'art urbain, les marchés aux puces, les aéroports abandonnés. Nos vies ont des airs de colonies de vacances et je sens la crème solaire.



Le temps passe. Depuis quelques temps, j'ai l'impression que c'est la fin. Il reste deux mois malgré tout. Ça n'en finit pas d'en finir. Il y a les premiers « au revoir » qui font penser à ceux à venir. Et les retrouvailles avec les visiteurs qui nous tournent aussi vers l'avenir. Alors on se répète « einfach Geniessen » : simplement profiter!


Et la semaine prochaine: Budapest!

jeudi 2 décembre 2010

Ich bin berlinerin...ou un sacré bordel!

C'est vrai que l'on écrit moins en novembre. J'aurais à dire pourtant, la découverte ambivalente d'Hambourg, les marchés de noël aux odeurs de Glühwein et de pains d'épices... Si je n'ai pas toujours pris le temps, c'est que l'important ne réside pas dans les évènements, c'est un processus, un mouvement. Mettre des mots semble tout figer.

Hambourg donc. Jusque là l'Allemagne s'était « ouverte » à moi sans difficultés. J'ai immédiatement aimé Berlin, avec enthousiasme, entièrement, dans ses contrastes et ses limites. La mer Baltique était belle.

Hambourg fut différent. Si l'on m'en avait dit du bien, j'ai trouvé triste, un brin oppressante cette ville portuaire. C'est injuste, c'est oublié le centre historique exceptionnellement conservé, je ne retiens que les entrepôts de briques rouges, le port sous la brume grise et les sexshops omniprésents. Ils clignotent, multicolores dans la nuit. Malheureusement, nous n'avons pas trouvé le quartier alternatif...

Nous marchons dans la ville. Une rue est presque barricadée, sur les murs la mention Frauen Verboten (interdit aux femmes) est placardée. C'est violent. Pour la première fois, je me sens clairement et explicitement discriminée en tant que sexe.

Au centre

Certain(e)s de mes ami(e)s veulent passer malgré tout, se veulent libres. Je n'ai pas envie de les suivre : loin de moi l'envie de respecter absolument une règle que je ne comprends pas, seulement je sais ce qu'il y a dans cette rue aux lumières rouges. Je sais, et je n'ai pas besoin de voir.

En Allemagne, la prostitution est légale. Les législateurs ont choisi une approche réglementariste de la question. Ainsi, les prostituées sont considérées comme des travailleuses du sexe. A ce titre, elles ont des droits et sont « protégées » de leurs employeurs par la loi.

Mes amies se sont fait jetées hors de la rue à coup de cris. Dans le bar où nous nous installons, le débat est animé, dans la limite de la langue. Il est trop plein d'émotion alors qu'il serait nécessaire de dépasser l'incompréhension et l'indignation premières afin d'entrer dans une analyse plus fine...

A ce sujet, mes opinions sont fluctuantes. La légalisation n'est-elle pas la meilleure solution? La moins hypocrite en tout cas?

Il y avait ce livre de Virginie Despentes, the King Kong theorie, qui m'avait ébranlée. C'est un féminisme nouveau qu'elle nous propose, un féminisme radical qui n'est pas toujours naturel pour moi, un féminisme pro-sexe. Elle parle, d'après sa propre expérience, du plaisir que la prostituée peut également prendre, de la relation qu'elle peut établir avec son client. Elle ne fait bien évidement pas, dans ce cas précis, allusion aux réseaux de prostitution organisée.

S'il y a des choses à entendre de part et d'autre, j'avoue que ces réflexions me laissent un goût amer. Où est au fond la vraie liberté? Où se jouent les rapports de domination? Je ne peux pas concevoir comme certains que la prostitution est un travail comme un autre. Peut-on vraiment tout acheter?

Le weekend s'est déroulé. Plusieurs fois, nous avons dû dire que nous étions de Berlin et le dimanche soir nous rentrions chez nous.

Nous, des berlinois.

C'est ainsi que s'est posée la question, celle qui était latente depuis quelques temps même si je ne l'avais pas formulée. D'où suis-je? Et par conséquent, qui suis-je?

Au fur et à mesure, c'est bien la question de l'identité qui s'impose, une identité remise en cause par le départ, le voyage et ses richesses.

On se découvre des identités plurielles qu'il nous faut combiner. C'est beau, un peu dur aussi : construire, se construire un monde ici quand on sait le caractère éphémère de nos vies à l'étranger...


Dans deux semaines, je serais en France. Je peine à réaliser. La joie des retrouvailles est teintée d'une certaine appréhension...Là bas, c'est naturel et heureux, la vie ne m'a pas attendue. Que vais-je retrouver? Je ris quand on parle d'une parenthèse dans nos existences.


Et pour toi Elisa, je ne peux m'empêcher de citer l'auberge espagnole, parce qu'au fond le gars, même complètement paumé (comme nous?), a tout compris:

« Je suis lui, lui, lui et lui et lui aussi et lui aussi... et je suis lui aussi... et puis lui, lui je veux pas le décevoir. Je suis elle, elle et elle aussi, je suis français, espagnol, anglais, danois, je suis pas un mais plusieurs. Je suis comme l'Europe, je suis tout ça, je suis un vrai bordel. »

(notre petit groupe à Hambourg)


mardi 16 novembre 2010

Pauline à Berlin

Voici le temps de la première visite, je l'attendais.

C'est Pauline que je suis allée cueillir à l'aéroport, Pauline l'amie de confiance, la loyale qui -malgré les chemins désormais différents- écoute, parle aussi. A travers elle, c'était le souvenir d'une autre vie qui venait à moi, ma vie française, un peu assoupie.C'est cette étrange impression d'avoir deux existences qui, si elles se croisent parfois, ne se rejoindront jamais. Ce n'est pas une parenthèse non plus, l'une de celles que l'on referme, indemnes. Nous reviendront changés, tous conquérants.

J'ai pris le bus pour venir te chercher, il était tôt, la lumière belle. Je pensais au tout premier jour : mon arrivée. Je me rappelle mon excitation et cet espoir débordant au cœur. Je me demandais à quoi tu pensais.

Je voulais tout te dire, l'attrait de cette ville, ma vie ici. Je voulais te dire de ne pas t'arrêter aux monuments parfois ternes, à l'absence d'unité. J'avais peur que tu n'aimes pas. C'est impossible de montrer ce que l'on voit.

La ville n'est pas belle. Ce n'est pas Paris, Berlin n'est pas un trésor, elle se vit. As-tu senti ce rapport au temps un peu différent?

C'est la ville des migrants tu sais, une ville pauvre, moderne, qui fourmille, qui attire. Elle n'est pas Bonn ou Francfort, elle ne brille pas économiquement, a l'un des taux de chômage les plus élevés d'Allemagne.

Elle a été détruire pendant la guerre, et a peu à peu été reconstruite. Tu n'as pas pu voir cette Eglise baroque dont seules les façades extérieures ont été reconstruites. À l'intérieur, rien, elle est vide. C'est stupéfiant et chaque fois, cela me glace. Elles sont loin les splendeurs d'antan. Tu en as vues certaines pourtant celles de la Prusse victorieuse au château de Charlottenburg.


(Château de Charlottenburg)

Ici, il n'y a pas de culture de conservation, le vieux bâtiment historique, si inutile, peut être supprimé, c'est ainsi. On n'hésite pas non plus à construire au XIX° des hôtels à la mode Renaissance...

Alors, oui, vois les monuments : Brandenburger Tor, le Reichstag, East Side Gallery ou Postdamer Platz, mais n'oublie pas qu'ils ne sont pas tout Berlin, que Berlin bouge et bougera.

Berlin, c'est aussi les parcs immenses, les bars rouges le soir, la bière, des instants à danser dans un ancien appartement reconverti, maquillés à l'encre de Chine par un artiste d'un soir. Berlin c'est l'envie de manger un döner au petit jour puis la visite d'un grand musée. Berlin, c'est parler dans le métro avec celui qui a entendu que tu étais française.


( Sony Center auf dem Potsdamer Platz)

C'est pour beaucoup une liberté retrouvée. Aujourd'hui, mon professeur parlait des migrants du XIX° qui quittaient leur campagne pour la grande ville, dure, froide. Il parlait de leur espoir. Il nous a demandé pourquoi, nous, nous étions venus. Pourquoi Berlin?

Pourquoi? Je crois que tu l'as senti. Je ne pouvais pas vraiment te l'expliquer.

Tu es repartie, j'avais cette drôle de mélancolie de ceux qui restent et qui sont loin. Mais merci! Merci d'être venue, d'avoir aimé ce que j'aime, d'avoir compris. Et n'oublie pas : je t'attends!


(annexes du Parlement)



vendredi 5 novembre 2010

Université, Europe, mes amours!

Maintenant novembre, novembre la grise et la mélancolique, novembre qui pénètre tout et nous laisse un peu fatigués. Pas d'hibernation pourtant, on avance, on découvre, encore. C'est étrange de penser à vous sous d'autres hémisphères, sentant encore les fleurs et le soleil, cherchant un peu d'air frais. Et moi qui attendrais presque Noël, la neige, le froid rude et les lumières multicolores! Je n'aime pas les entres deux.

L'euphorie de l'arrivée s'estompe peu à peu, c'est normal. Il me reste malgré tout ce contentement, la certitude d'avoir fait le bon choix.

Partir c'est toujours remettre en cause ce qui paraît évident, acquis. A nouveau réfléchir.

A Berlin, je réapprends l'université et l'enseignement. Les débats passés sur notre université idéale, sur celle à construire, sont à nouveau d'une actualité poignante. J'y repense.

C'est aussi pour sa conception romantique de l'éducation que j'avais choisi l'Allemagne : « se perdre dans le savoir pour mieux se retrouver », ça me plaisait.

Ici, il faut oublier, oublier le temps qui passe, l'avenir professionnel plus ou moins certain, la vision du professeur comme détenteur de savoir. Les étudiants allemands lisent, cherchent, parlent, débattent, critiquent. Ils disent leurs pensées, s'approprient un savoir qui les dépasse et, peu à peu, se l'approprient. Ils sont loin les cours magistraux, les partiels mécaniques.


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(le Rotes Café : le café rouge, café principal de l'institut de sciences politiques)
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Les professeurs sont des guides, des accompagnateurs et non des maitres. Et, rendez vous compte, aucun d'entre eux ne prônent la neutralité axiologique (quelle fumisterie!), ils assument leurs idées, certains les revendiquent, dans le respect de la contestation.

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Il y a ce premier cours de gender theories, les tables ont disparu, nous sommes en cercle. La consigne est simple : parler à son voisin du monde rêvé. Ma voisine est l'une des profs, elle n'a pas trente ans et me parle d'un monde sans frontières, un monde de liberté. Elle et sa collègue réfutent le schéma traditionnel du cours, elles le réinventent sur un mode exclusivement participatif. C'est dur lorsque l'on ne parle pas bien la langue et pourtant c'est tellement enthousiasmant.

(un des principaux bâtiments de l'institut des sciences politiques)

L'aisance à l'oral des étudiants est assez remarquable et semble être le fruit d'un long apprentissage. Cela me semble parfois étrange qu'un peuple si formé à l'esprit critique ne soit pas plus contestataire.

Les maitres mots de l'université allemande pensée par Humbold sont liberté, autonomie et découverte: liberté de choisir ses cours, de penser, autonomie dans la recherche et face au savoir (tous deux nécessairement liés), et découverte de soi et du monde.

Les études s'étendent sur de nombreuses années (la connaissance nécessite du temps, l'étudiant peut le prendre), la barrière entre vie active et formation est fluctuante. Et il est encore admis que l'université transmet des savoirs et non des savoir-faire; qu'elle a pour vocation de former l'esprit, de se grandir. Ainsi, l'étudiant en philosophie peut être embauché dans une entreprise car il sait penser.

Inutile de dire, que cette conception de l'enseignement universitaire est profondément remis en cause par le système de Bologne.

Il est par ailleurs toujours étonnant pour moi de constater le nombre de très jeunes femmes enceintes au sein de l'université. Il existe des aides financières (et je crois également une crèche) permettant aux jeunes mères de concilier maternité et études. J'avoue ma surprise étant donné le très faible taux de natalité allemand et les conceptions de la « bonne mère » encore relativement rigides et traditionnelles. Il m'amène à repenser le féminisme : favoriser contraception et avortement bien sûr mais également permettre aux femmes de mener simultanément les deux fronts.

Partir c'est aussi se confronter à ses origines et à ce qu'elles signifient. Je voulais prendre de la distance avec la France, fatiguée de ses excès, de ma honte. Prendre le temps de penser, loin de mon indignation quotidienne. C'est difficile, presque impossible.

Tout d'abord parce que, peut être est-ce en Erasmus encore plus perceptible qu'ailleurs, notre nationalité fait intimement partie de ce que nous sommes, de notre identité.

Il y a ce rituel, quasi immuable qui veut tout dire: face à moi se trouve cette personne que je ne connais pas; je lui tends la main et dis « Ich bin Fanny und ich komme aus Frankreich » (je suis Fanny, je viens de France). Si j'oublie cette précision, on me questionnera. C'est ainsi. C'est toujours ce que l'on sait en premier.

Ensuite, c'est assez étrange de pouvoir constater de la tentation communautaire, à cause de la langue oui, mais également à cause de références communes ou de ce sentiment d'appartenance.

Il me semble impératif de lutter contre, nombre sont ceux qui se cantonnent dans une position très fermée, parlant presque uniquement français en présence d'étrangers. Il est difficile parfois de ne pas déceler dans ces comportements un brin d'arrogance. Ce qui n'échappe pas à certains de mes amis d'Europe de l'Est, qui m'en parlent, timides et un peu gênés...

Enfin, il y a l'actualité, violente, qui rattrape et ébranle la fragile prise de recul, actualité qui fait douter: où est donc ma place? Ici? Là bas? C'est ce lien irrémédiable, soudain évident : je viens de l'autre côté de la frontière, c'est mon pays.

C'est au bout de quelques jours que je me suis rendue compte, auprès d'étudiants hongrois et polonais, qu'ici autre chose se créait. A Berlin, je deviens citoyenne européenne. C'était théorique, je le vis.

Pour l'instant, c'est une nouvelle découverte, joyeuse, qui me suffit!